Législation-Tunisie

Les Liens hypertextes : Quel Régime juridique en Tunisie??
Par Asdrubal



On peut définir les liens hypertextes comme des passerelles qui nous permettent de passer d'un site WEB à un autre ou d'une page WEB à une autre. D'ailleurs, On s'accorde aujourd'hui à considérer ces liens comme la base même du fonctionnement du WEB en ce qu'ils sont au cœur de la navigation.
Cependant, cette opération technique, aussi simple soit-elle, peut avoir des conséquences juridiques graves aussi bien pour l'usager, le webmaster, le fournisseur d'accès et même l'opérateur. En effet, lorsque le lien est utilisé à des fins qui heurtent l'ordre public, les bonnes mœurs et les droits des tiers sous quelque forme que ce soit, leur activation peut entraîner une activation des règles de droit Civil et Pénal.
Les Affaires Civiles et pénales qui leurs sont relatives, se sont accrues et certains, estiment qu'un Droit de Liens Hypertextes est entrain de se construire. C'est dans ce sens qu'un effort de définition de la notion du lien est en cours au niveau de droit comparé. Cet effort permettra, peut-être, de cerner ses contours juridiques.

Section préliminaire : Définition de la notion

Le Forum des droits sur l'Internet (http://www.foruminternet.org) a créé un groupe de travail dont la tache est de proposer des définitions valables pour ces liens. On nous avertit, d'abord, qu'il est important de souligner que le caractère actif du lien et son activation au choix de l'internaute sont des caractéristiques indispensables à la notion même de lien. Il convient donc de faire la différence entre le lien (par nature, actif) et l'adresse (simple indication pouvant être inactive). Ensuite, on nous propose les définitions suivantes :

  • Hyper-lien ou lien : connexion permettant de relier des ressources accessibles sur des réseaux de communication (par exemple le réseau Internet). Il est composé notamment des éléments suivants, visibles ou non pour l'utilisateur : élément actif ou activable, adresse de destination, conditions de présentation de la ressource liée.
  • Lien activable : lien nécessitant une action de l'utilisateur en ce sens (ex : un " clic ").
  • Lien automatique : lien activé sans action spécifique de l'utilisateur (ex: liens déclenchés automatiquement à l'affichage d'une page WEB, etc.). L'activation du lien dépend donc du concepteur de la page et non de l'internaute.
  • Lien simple : lien vers l'un des points d'entrée désigné d'une collection de ressources* et accessible par un réseau de communication (par exemple : page d'accueil d'un site WEB)
  • Lien profond : lien vers toute ressource autre que l'un des points d'entrée désigné de la collection de ressources* à laquelle elle appartient.
  • Lien interne : lien vers une ressource appartenant à la même collection de ressources*.
  • Lien externe : lien vers une ressource appartenant à une autre collection de ressources*.
    *Collection de ressources : ensemble de contenus de nature variée (image, son, texte, vidéo, etc.) ayant une cohérence entre eux et géré par une même entité. Par exemple, un site WEB ou un site FTP peuvent être une collection de ressources (Source : Le Forum des droits sur l'Internet )

D'après les définitions proposées, on constate que c'est le webmaster (propriétaire de la page WEB) qui encourt, le plus, le risque de voir sa responsabilité engagée. Mais rien n'empêche que d'autres personnes soient tenues responsables, tel le fournisseur de services ou l'opérateur par exemple.
Ainsi, faut-il, d'abord, chercher le fondement de cette responsabilité (Section I) pour analyser ses applications (Section II) par la suite.

Section I. - Fondement
L'illicité :
Des essais doctrinaux ont essayé de distinguer entre les liens licites et ceux illicites. D'ailleurs, on estime que tout lien est présumé licite. En effet, La Cour d'appel de Paris, dans un arrêt rendu le 19-9-2001, dit expressément que "… la création au sein d'un site d'un lien permettant l'accès à d'autres sites n'est pas, en soi, de nature à engager la responsabilité de l'exploitant… " (Source: Le Forum des droits sur l'Internet ). On peut supposer, aussi, que tout propriétaire d'un site WEB est censé autorisé implicitement l'établissement des liens hypertextes vers la page d'accueil de son site. Ainsi, La mise en garde d'un refus de tout lien vers son site serait sans effet !
Cependant, lorsque " .. La création de ce lien procède d'une démarche délibérée et malicieuse, entreprise en toute connaissance de cause par l'exploitant du site d'origine, lequel doit alors répondre du contenu du site auquel il s'est, en créant ce lien, volontairement et délibérément associé dans un but déterminé " (idem). Serons-nous alors dans un cas d'illicité ? Pour en juger la nature, ni la doctrine, ni la jurisprudence ont échappé à la nécessité de rechercher une faute auprès du Webmaster
La Faute :
On est pratiquement tenté d'exclure de ce cadre d'étude la faute contractuelle. En effet, on conçoit mal qu'un contrat ait été établi entre deux ou plusieurs Webmaster s'engageant de ne pas établir des liens vers leurs sites respectifs. On est certain, que cette faute ne peut être qu'une faute civile délictuelle, quasi-délictuelle ou une faute pénale.
La Faute Civile délictuelle et quasi-délictuelle: En droit tunisien, on peut avancer que les articles 82 et 83 du COC peuvent être le fondement de cette faute. Ainsi, on devrait chercher auprès du webmaster le fait qui a causé sciemment et volontairement à autrui un dommage matériel ou moral, ou une faute de sa part ; Cette faute consistera en une omission de ce qu'on était tenu de faire ou en une action qu'on était tenu de s'en abstenir.
Mais, on peut, aussi, trouver un fondement spécial dans l'article 9 du cahier des charges fixant les clauses particulières à la mise en œuvre et l'exploitation des services à valeur ajoutée des télécommunications de Type Internet qui dispose que les clients abonnés, propriétaires des pages et serveurs hébergés sont responsables des infractions aux dispositions de la législation et de la réglementation en vigueur. Cette réglementation est facilement déterminable par simple référence à l'énoncé de l'arrêté qui a approuvé un tel cahier.
La Faute pénale : Elle sera certainement recherchée sur le plan de la complicité étant donné que les articles 32 et 33 du code pénal punissent la complicité au même titre que le fait incriminé.

Section II. - Applications

Par référence à la jurisprudence et la doctrine comparées, mais aussi par référence aux énoncées du décret 97-501 du 14 mars 1997 relatif aux services à la valeur ajouté des télécommunications et arrêté du ministre des télécommunicationsNote du 22 mars 1997 portant approbation du cahier des charges fixant les clauses particulières à la mise en œuvre et l'exploitation des services à valeur ajoutée des télécommunications de Type Internet, on peut délimiter dans une première approche les terrains d'élection de la responsabilité éventuelle résultant des liens hypertextes.
Ainsi, la publicité commerciale, le droit de la presse, le droit de la concurrence, le droit de la consommation et la propriété intellectuelle constituent un domaine sensible pour établir une telle responsabilité.

Le droit de la propriété intellectuelle :
Droit d'auteur : Les liens dits liens profonds (" deep linking "), qui renvoient à une page secondaire du site cible constituent une atteinte au droit d'auteur en l'absence d'autorisation préalable de son webmaster. De même, un " inling " ou un " framing ". Cette responsabilité trouve justification dans l'article 2 de la Loi n° 94-36 du 24 février 1994, relative la propriété littéraire et artistique qui dispose que " Le droit d'auteur comprend le droit exclusif d'accomplir ou d'autoriser que soit accompli l'un quelconque des actes suivants : a) reproduire l'œuvre sous une forme matérielle quelconque…b) Communiques l'œuvre au public par tout moyen… ". L'article 51 de la même loi précise que " .. La preuve de l'atteinte portée au droit d'auteur existe lorsque l'utilisateur de l'œuvre ne justifie pas de l'autorisation visée à l'article 2 de la présente loi. ".
Ainsi, l'établissement d'un lien en direction de fichiers MP 3, peut-il être constitutif d'une mise à disposition de contenus illicites violant le droit d'auteur ou les droits annexes qui sont protégés par l'article 1er de la loi du 26-2-1994 et le chapitre 7 du projet de réforme de la dite loi ou constitue-t-il une contrefaçon ??

Marques de fabriques : L'article 21 de la loi 2001-36 du 17-4-2001 relative à la protection des marques de fabrique, de commerce et de services, dispose que l'enregistrement de la marque confère un droit de propriété emportant interdiction de reproduction, usage ou apposition (art. 22) et que toute atteinte constitue une contrefaçon engageant la responsabilité civile et pénale de son auteur. C'est l'action en contrefaçon.
Dans ce sens, le tribunal de grande instance de Paris, dans une affaire en date du 5-9-2001 opposant une société qui reproche à une autre la mise en place d'un lien dit profond vers ses pages secondaires dénaturant le contenu de son site, a affirmé que " le détournement de trafic est la conséquence des actes de contrefaçon et non un acte de concurrence déloyale ".(Le Forum des droits sur l'Internet)

Le droit de la concurrence :
La création d'un lien donnant accès à un site ou page WEB contenant des propos, informations ou images portant atteinte aux produits ou services d'un concurrent direct constitue un comportement fautif qualifiable de concurrence déloyale. C'est ce qu'a décidé la Cour d'Appel de Paris dans une décision du 19-9-2001 (Le Forum des droits sur l'Internet)

La publicité commerciale :
La Loi n°98-40 du 2 juin 1998, relative aux Techniques de Ventes et à la Publicité Commerciale dispose dans son article 35 qu' " Au sens de la présente loi, est considérée comme publicité, toute communication ayant un but direct ou indirect de promouvoir la vente de produits ou de services, quels que soient le lieu ou les moyens de communications mis en œuvre". L'Art. 36 dispose aussi qu'il est " - Est interdite toute publicité portant sur :une activité non autorisée, les produits dont la commercialisation est interdite, Les produits qui ne sont pas disponibles sur le marché pendant la période de la publicité. Les produits dont l'origine est inconnue. "

Le Cadre pénal :
Un lien qui renvoi à un site dont le contenu est constitutif d'une infraction pénale peut engager la responsabilité pénale de son auteur par le jeu de complicité. D'ailleurs, cette responsabilité peut s'étendre aux fournisseurs de services et aux opérateurs qui sont tenus d'une " obligation de moyen " générale incluse dans les articles 11 et 12 du décret 97-501 du 14-3-1997 et l'article 9 du cahier de charges susvisés.

 

AsdrubaL


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